Témoignage de Maurice Gasser – Part.4

Je me croyais fort

De retour à Chexbres, j’ai fait le fort, j’ai dit à ma femme que l’alcool ne m’intéressait plus. Je me croyais fort, très fort. J’étais sûr de pouvoir tenir le coup.

Cela n’a pas duré longtemps. J’ai repris le travail, et avec lui mes cocktails d’alcool et de médicaments. On m’a même retiré le permis. Mais rien n’y a fait. Je m’enfonçais de plus en plus. Je ne discernais bientôt plus rien. J’étais seul avec moi-même. Il n’y avait plus que moi, l’alcool et les médicaments. Plus rien n’existait autour de moi. Cela allait-il s’arrêter? Je n’en pouvais plus.

J’étais enfoncé dans un trou noir très profond. La nuit je me réveillais en sueur. Je regardais par la fenêtre. J’étais perdu. Je ne savais plus qui j’étais. Ma femme, mes enfants, plus rien n’existait autour de moi.

« Au secours, mon Dieu ne m’abandonne pas! Tire-moi de ce puits infernal. Ce puits sans fin. Je n’en peux plus, Oh Dieu, aide-moi. »

Vite un verre, j’en ai besoin !

Je faisais de la dépression et l’alcool était mon obsession. Je consultais des médecins, des psychiatres, je recevais mes pilules, et à chaque consultation, la dose augmentait.

Les jours commençaient à devenir très difficiles. J’avais peur de conduire sur la route, peur des gendarmes,  peur des accidents. Heureusement, mon fils travaille avec moi. C’est lui qui conduit la voiture. Alors je bois encore plus. Sur le chantier, il y a un manoeuvre, qui me suit toute la journée pour me servir à boire.

Combien de fois les ambulanciers sont venus me chercher à la maison pour me mener dans les hôpitaux de la région.

Je suis hospitalisé plusieurs fois dans des hôpitaux psychiatriques. Les cocktails que j’avale sont de plus en plus forts. A chaque nouvelle sortie de l’hôpital, après une période d’abstinence plus ou moins longue (9 mois la plus longue et 24 heures la plus courte), je suis à nouveau hospitalisé.

Un jour, juste avant d’entrer dans un tunnel, j’ai voulu foncer avec la voiture contre les murs. Mon fils qui était près de moi me demande ce que je fais. Il me parle fort et je reviens à moi. Mes yeux s’ouvrent. Il a tout compris,  mais il ne dit rien. Ce jour-là, j’ai pensé que tout était fini. Dans mon alcool, je tirais mon fils avec moi, cela devenait de plus en plus grave. Que je sois seul, je comprenais, mais comme ça, avec mes fils, NON.

Heureusement que mes frères et sœurs dans la foi continuaient à prier et ne cessaient pas le combat.

La foi que le Seigneur voulait me sortir de ce trou noir était là, au fond de mon coeur. La lecture quotidienne de la Parole de Dieu et la prière m’ont gardé de mon désir d’en finir avec la vie.

L’alcool pour moi était devenu vraiment une obsession. Quand j’ouvrais mon bar à la maison, j’avais de grandes frayeurs. Mon fils avait mis une image à l’intérieur: une grosse tête de mort avec deux os croisés et il avait écrit: Papa, l’alcool tue. Papa, tu ne dois plus boire. L’alcool te fait mal.

Je n’osais plus ouvrir la porte du bar. J’en avais peur. Il me semblait que si j’ouvrais cette porte, tout allait m’exploser en pleine figure. Alors, je cachais mon alcool. Dans un coin de la voiture, dans la maison, au garage, un peu partout j’avais mes réserves. Il ne fallait que personne ne me voie boire. Je me cachais, je faisais croire que je ne buvais pas d’alcool. Personne ne me voyait boire. Et pourtant les quantités devenaient de plus en plus importantes. Pour l’apéro, je prenais un ou deux pastis, ensuite du blanc, puis pour dîner du rouge et pour finir, le café pomme. Je reprenais le travail. L’après-midi, c’était les descentes de bière. Et les jours se suivaient, les jours passaient. Au travail je commençais à ne plus savoir ce que je fais. Tout le travail du matin, je le refaisais l’après-midi.

A l’époque j’avais plus de 25 ouvriers, j’avais des aides, un contremaître. J’étais chef de chantier. Mon fils André était en 3ème année d’apprentissage…

Bien entendu, beaucoup voyaient, mais tous se taisaient. J’étais le chef. Ils avaient un bon exemple: le chef… Heureusement André conduisait la voiture. De plus en plus souvent, en rentrant à la maison le soir je m’écroulais. J’avais peur, vraiment peur. J’avais l’impression que j’allais tout perdre: ma femme, mes enfants, mon travail, ma vie et tout.

Quand je revenais à moi, tout fonctionnait et je me disais: « Jamais plus, jamais plus, il faut à tout prix que j’arrête… Je vais tout perdre, je sens les menaces venir. Je sens que ma femme, mes enfants, mes employeurs: ce n’est plus comme avant. »

UN VERRE NE SUFFISAIT PLUS, JE NE POUVAIS PLUS M’EN PASSER

Les années s’écoulent lentement, mais durement, toujours selon le même scénario.

La boisson était devenue ma principale activité: dès le matin, au lever, il me fallait boire avant de conduire, ensuite, boire de la bière avant de travailler, avant que les hommes n’arrivent. A la pause de 9h, je consommais plusieurs litres de bière; parfois même, j’ouvrais une bouteille de rouge. Puis pour l’apéritif, du pastis et ensuite du vin pour le repas.

Avec le temps, je me suis mis aux liqueurs fortes, la pomme dès le matin. Whisky, gin, cognac… La journée se déroulait péniblement. J’assumais encore mon travail, ce qui était vraiment incroyable… J’arrivais à ne pas me faire remarquer. Heureusement que mon fils André travaillait sur le même chantier que moi et conduisait la voiture.

La boisson était tout pour moi. Je ne pouvais vivre sans elle. J’étais comme attaché, ligoté avec des chaînes, anéanti, sans force. Tout ce qui comptait pour moi, c’était de faire des provisions, de trouver des cachettes où personne ne pouvait trouver mes bouteilles.

Boire, prendre plus de médicaments pour être mieux, un cercle total de destruction… boire pour pouvoir écrire, pour arrêter les tremblements… Mon désir: me détruire, car je ne voyais pas d’issue…

Je grossissais et arrivais jusqu’à 130 kg. Je continuais à prendre une quantité énorme d’alcool et de médicaments, quantité qui dépasse l’imagination. J’étais incapable de prendre une décision et mon cocktail était mon seul souci.

J’ai refait un séjour à Nant. Cette fois-là, au réveil, j’ai eu une peur bleue: je me rendais compte que j’allais tout perdre: ma femme, mes enfants, mon travail. Il fallait que je m’en sorte ou je n’aurai plus rien.

Maurice Gasser

Extrait du livre « Dans la tempête de l’alcool » paru en 2009 aux Editions Oladios.

L’auteur vit actuellement avec son épouse à Chexbres. La suite de son témoignage sera mise en ligne prochainement.