Agur à la lumière de l’ascension

Par le moyen d’une lecture biblique, découvrons cet homme ainsi que  le cheminement qu’il dût connaître pour en arriver à écrire ou dire ce que nous lisons à son propos. En ces jours qui nous ont rappelé l’ascension de Jésus, ce que nous allons lire peut nous conduire à considérer ce que peut-être une ascension pour nos vies, en précisant que l’ascension, ou l’élévation, est un mouvement qui nous mène de la terre au ciel. 

Même avant la mort, nous commençons à nous attacher aux choses qui sont en haut plus qu’à celles qui sont sur la terre. C’est là toute la puissance de l’espérance, l’espérance qui est en Jésus-Christ.

AGUR. C’est le nom de la personne dont nous allons nous approcher. Agur ou Agour. Nom de même famille qu’Agar, la servante d’Abraham. Agur… Faisons un peu connaissance avec Agur en lisant les versets 1 à 9 du chapitre 30  du livre des Proverbes.

« Paroles d’Agour, fils de Yaqé. Sentence, déclaration de cet homme pour Itiel, pour Itiel et pour Oukal. Oui, je suis plus bête que n’importe quel homme, je n’ai pas intelligence humaine ; je n’ai pas appris la sagesse, je n’ai pas la connaissance des saints. Qui est monté au ciel ? Qui en est descendu ? Qui a recueilli le vent dans le creux de ses mains ? Qui a serré les eaux dans un manteau ? Qui a mis en place toutes les extrémités de la terre ? Quel est son nom, et quel est le nom de son fils, si tu le sais ? Toute parole de Dieu est éprouvée, il est un bouclier pour ceux qui trouvent en lui un abri. N’ajoute rien à ses paroles, de peur qu’il ne te reprenne et que tu ne sois trouvé menteur. Je te demande deux choses ; ne me les refuse pas, avant que je meure ! Eloigne de moi l’illusion et la parole mensongère ; ne me donne ni pauvreté, ni richesse ; accorde-moi le pain qui m’est nécessaire, de peur qu’étant rassasié, je ne te renie et ne dise : « Qui est le Seigneur ? » ou que, pauvre, je ne commette un vol, et ne porte atteinte au nom de mon Dieu »

Proverbes 30-1 à 9.

La version Latine de la bible, appelée aussi la Vulgate (dont le nom signifie rendre accessible ou publique) traduite par Jérôme au 4ème siècle à partir des textes hébreux et grecs, traduit ce nom propre. Paroles d’Agur, devient : « Paroles de celui qui rassemble ».

Son travail de rassemblement consistait à rassembler des sentences, c’est-à-dire mettre en présence des proverbes, rappeler des énigmes dont les peuples orientaux étaient friands, comme nous pouvons le lire dans la suite de ce chapitre 30. 

Ne comprenons pas ces « sentences » comme l’expression d’une décision arbitrale, une décision d’un tribunal, mais comme un énoncé moral qui a pour but de faire réfléchir, de conduire à prendre de la hauteur, de voir plus largement. La recherche de ces « sentences » ou ces paroles de la sagesse, nous sont utiles lorsque la pesanteur des difficultés que nous rencontrons sur notre chemin nous font oublier la teneur de notre espérance, ou nous poussent à trop rapidement quitter les sentiers qui nous mènent vers les sommets entrevus.

Rassembler des sentences. Même si un tel exercice est en soi un travail qui demande du temps, des recherches, sans parler d’une nécessaire cohérence dans la collection de ces sentences, ce travail ne peut se comparer à celui qui consiste à rassembler des personnes ! Rassembler, unifier, donner de la cohésion à un groupe de personnes, à une société, est une tâche pour laquelle nous ne suffisons pas.

Celui qui rassemble… Quelle comparaison pourrait-être utilisée pour décrire un rassemblement ? L’image d’une chaine composée de maillons reliés les uns aux autres. C’est une image de l’église de Jésus qui est rassemblée par un lien très fort : L’amour. L’amour est le lien de la perfection. Et la perfection nous parle de ce qui est complet. S’il manque sur un tableau, une partie de la toile du maître, alors nous ne pourrons pas dire que cette toile est parfaite. Chaque coupe de pinceau du maître, chaque détail sur la toile, fait partie du travail accompli, et participe au final à une vue d’ensemble.

Rassembler, c’est rendre plus proche, c’est prendre en compte la présence de l’autre, lui ouvrir l’espace, d’abord l’espace de nos bras qui accueillent.

Une question : Pourquoi ? Pourquoi rassembler ? 

La question peut se poser, elle a du sens, au regard de toutes ces populations enfermées, contrôlées, asservies, privées de liberté, sous la conduite de chefs tyranniques… Le lien est alors douloureux, contraignant, redoutable

L’église de Jésus n’a rien de commun avec ces systèmes où la loi du plus fort est la meilleure (ou la seule qui soit reconnue). Elle se distingue par une proximité respectueuse, attentionnée, bienveillante, encourageante. Voilà qui donne du sens au rassemblement, et nous parle d’un lien différent.

Paroles de celui qui rassemble… Avant de rassembler, ici différents proverbes, Agur partage une réflexion sur sa vie : « Paroles d’Agour, fils de Yaqé. Sentence, déclaration de cet homme pour Itiel, pour Itiel et pour Oukal. Oui, je suis plus bête que n’importe quel homme, je n’ai pas intelligence humaine ; je n’ai pas appris la sagesse, je n’ai pas la connaissance des saints. 

Voilà comment il se voit, et cela peut surprendre.  

En lisant et relisant les premiers mots de ce chapitre 30, ce texte m’est apparu de deux façons : 

  • D’abord, j’y ai trouvé un regard pénétrant et sévère sur lui-même. A la limite d’un regard destructeur. Il ne voit pas en lui de signe d’intelligence, de sagesse. Ce qu’il peut savoir ne compte pas, c’est comme s’il ne savait rien de ce qui est important, de ce qui compte. Un regard culpabilisant : je n’ai pas, je n’ai pas appris, je ne connais pas… Autrement dit, il sait qu’il n’a pas l’intelligence, qu’il aurait pu ou qu’il pourrait apprendre, qu’il pourrait connaître, mais ce n’est pas le cas. 

L’insistance que l’on peut percevoir dans ces lignes nous dit à quel point il se dévaloriserait. Les principaux éléments de la vie que sont l’intelligence, la sagesse, le savoir ou la connaissance… tout cela semble passer au crible d’un regard impitoyable.

  • Et puis, un petit mot, le mot « oui » ou « certes » dans une autre traduction, oriente notre réflexion dans une autre direction. Ce « oui » qui pourrait être un mot appuyant ce qui suit, peut aussi ressembler à une réponse qu’il donne. Oui, je suis plus stupide que personne, je n’ai pas l’intelligence d’un homme,… sous-entendu : « puisque vous le dites ! ». Dans ce cas, il se défend, et avec une pointe d’ironie. C’est plausible à la lumière des phrases qui suivent où il interroge : « Qui est monté au ciel ? Qui en est descendu ? Quelques questions qu’il conclut par une dernière question : « Si tu le sais ? ». Sous-entendu : « Toi qui me juge, serais-tu Dieu ? » 

Pourquoi passe-t-il aux yeux des autres comme quelqu’un de stupide, de bête, comme quelqu’un qui n’a pas l’intelligence d’un homme ?  Comme quelqu’un qui n’a pas de sagesse ? Ou qui ne sait rien de Dieu (ce qui est aussi un sens de « la connaissance des saints »). Dans ces mots, il ramène ceux ou celles qui dressent de lui un portrait désobligeant à des questions qui resituent le sentiment que l’on peut avoir de notre propre importance. Quel que soit le degré estimé de notre intelligence, de l’expression d’une sagesse ou d’un savoir, si tant est qu’il soit possible de jauger de tout cela tout cela a des limites qui devraient nous conduire à l’humilité, à cette humilité qui nous éloigne de toute propension à vouloir rabaisser autrui. Tout notre savoir, la sagesse ou l’intelligence, ne fera jamais de nous l’égal de Dieu. Nous sommes frères dans l’humanité, et nous n’avons aucune raison de dire de notre semblable qu’il n’est pas comme nous, comme ce fameux pharisien dans le temple : « je ne suis pas comme le reste des hommes, comme ce publicain… » (Luc18-9 à14). 

Toi qui juges, viens-tu du ciel ? Es-tu capable de maîtriser le vent, de contenir la force des eaux ? Est-ce toi qui as fixé les limites de la terre ? Si ce n’est pas toi, alors dis-moi quel est le nom de celui qui peut faire tout cela ? Et le nom de son fils ? Et si ce n’est pas toi, alors tu me ressembles, malgré nos si nombreuses différences…

C’est pour tous que Jésus est mort, y compris moi et toi. Nous ne pouvons pas aller au-delà de ce que Dieu a déclaré. Comme nous l’avons lu, sa parole est éprouvée. C’est elle qui donne raison et qui, lorsque nous sommes ciblés comme une proie à prendre au piège, est un bouclier pour ceux qui trouvent en lui un abri. N’ajoute rien à ses paroles, ne va pas au-delà de ce qu’il a décrété, arrêté, tout ce que tu ajouteras, toute liberté que tu prendras pour dire le contraire de ce qu’il a affirmé sera parole mensongère. 

Paroles d’Agur, paroles de celui qui rassemble. Elle est là aussi notre ascension, notre élévation : dans la prise de conscience de ce qui nous rassemble, en celui qui nous rassemble véritablement.

Agur demande deux choses à Dieu, deux choses qu’il veut recevoir avant de mourir :

« Eloigne de moi l’illusion et la parole mensongère, ne me donne ni pauvreté ni richesse ».

Quelle prière ! Il me semble qu’Agur a commencé d’une certaine façon son ascension. Il est sur ce chemin ascendant, un chemin qui l’élève (non pas par un sentiment de supériorité, mais par le triomphe de l’Esprit sur ce qui est charnel). Il ne demande pas autre chose que ce qui est nécessaire pour rester attaché à Dieu ; c’est sa prière. Déjà, il entrevoit quelque chose du ciel, sa prière nous le dit. Pour reprendre ces mots de l’épître aux hébreux :

« Sa foi est l’attestation des choses qu’on ne voit pas » (Hébreux 11-1).

Je préfère dire «  sans doute » que « peut-être », à son sujet : sans doute la souffrance a touché sa vie, d’une façon ou d’une autre. Quelqu’un disait que « la souffrance change l’homme… Le conduisant à voir la vie sous un autre jour… fait éclater ses façons habituelles de penser ».

Je veux reprendre ces mots de M. Guizot, historien et homme d’état français, alors qu’il réfléchissait sur l’au-delà, le ciel. Il disait :

« L’obscurité ne détruit pas ce qu’elle cache ; cette autre rive où nous ont devancé ceux qui sont morts n’en existe pas moins parce qu’un nuage s’étend sur le fleuve qui nous sépare. Il faut renoncer à comprendre. Il faut croire en Dieu. Depuis que je me suis enfermé dans la foi en Dieu, depuis que j’ai jeté toutes les prétentions de mon intelligence, et même les ambitions prématurées de mon âme, j’avance en paix, quoique dans la nuit, et j’ai atteint la certitude en acceptant mon ignorance ».

 

 Prédication de François Quoniam, pasteur de l’Eglise Evangélique Libre